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Faire et ... laisser faire. La Voie du Tai Ji Quan

  • Photo du rédacteur: Ky Van
    Ky Van
  • 22 avr. 2022
  • 6 min de lecture

Vouloir développer la notion de la pratique du lâcher prise en quelques lignes serait, à mon point de vue, faire preuve de laxisme et céder ainsi la place aux lacunes. Mais vouloir illustrer cette même notion par des formules ou théories me semble relever de l'absurde. Aussi, serait-il plus judicieux d'aborder ce thème qui m'est cher, par ceci : Exposer les pratiques qui m'ont permise de me guider vers celle du lâcher prise, c'est à dire le "Faire puis... Laisser faire".




Enfant, il m'arrivait souvent de regarder avec étonnement mon père et ma mère, tous deux debout face au lever du soleil. Ils ne bougeaient ni l'un ni l'autre et restaient ainsi un temps qui semblait, pour une enfant de six ans, interminable. Il m'arrivait de me rendormir en les observant, puis me réveiller une heure après pour les retrouver exactement dans la même position, les bras arrondis devant leur ventre.


Bien-sûr, à ma question : "Papa, pourquoi vous ne bougez pas, maman et toi ?" Sa réponse fut des plus obscures :"J'ai l'air de ne pas bouger, mais en fait, je suis entrain de pratiquer un art martial." Pour moi, évidemment, pratiquer le Wushu, c'était bouger dans tous les sens, frapper et donner des coups de pied à des adversaires imaginaires en poussant des cris terribles. Cela, je l'ai vu faire maintes fois, ainsi que des combats très impressionnants entre mon père et ses pairs. Mais là, je ne comprenais pas. J'insiste, et lui pose à nouveau la question... qui n'obtint alors aucune réponse.

La réponse me fut donnée plus tard lors d'une visite du Maître de Tai Ji Quan de mon père à la maison. Pas vraiment démontée et déjà obstinée comme une pierre, du haut de mes 7 ans, je m'avance vers le respecté Maître et lui pose la question : "Pourquoi on ne bouge pas pendant des heures et on dit qu'on est en train de faire quand même du Wushu ?"


Ma mère, mon père et leur Professeur de Tai Ji Quan, Maître Ti Pi Jan

Il rigole, éteint sa cigarette, pose son verre et, sur la pelouse devant notre maison, exécute une forme de Tai Ji Quan. Lui qui était si grand pour un asiatique (1m75), semblait tout raccourci pendant son enchainement très bas... Qui n'était pas aussi lent que celui de mon père.

Une fois terminé, il me dit : "ça, c'était FAIRE un enchaînement." Puis, il se dirige vers le réservoir d'eau de pluie sous la toiture, se met dans la même position figée que je connaissais de mes parents. Ses mains, En revanche, étaient à plat au dessus de quelques centimètres de la surface immobile de l'eau. Il restait ainsi pendant quelques minutes...

Puis mon père m’a dit de m'approcher. Devant mes yeux ébahis, des ridules commencèrent à se former à la surface de l'eau sous les paumes de l'homme. Il les bougea en cercle, et le mouvement de l'eau suivait parfaitement celui de ses mains. Il relâcha et me lança un sourire radieux : "Et ça, c'est FAIRE sans FAIRE."




Depuis cet instant et durant toute ma vie, j'ai cherché comment "Faire sans Faire"... autrement dit, "Pratiquer sans pratiquer".

Pratiquer du Tai Ji Quan, c'est d'abord mettre le corps en place, chercher une bonne structure... Cette évidence ressassée m'incitait à passer mon temps de pratique à construire une bonne structure, de bas en haut, vérifiant toutes les articulations, tous les axes, leurs liens de mouvement.


Je m'évertuais à FAIRE une structure corporelle la plus "propre" possible et travaillais souvent devant la glace. Mais cela, évidemment, ne me satisfaisait pas vraiment...






La pratique me menait vers l'édification d'une impression de contrôle permanent, donc, de "limites" permanentes, de "prison" omniprésente. Lorsque j'exécutais mon enchaînement, je sentais bien que celui-ci répondait aux exigences éthiques, conventionnelles et structurelles : A force de le travailler, le corps avait acquis cette construction... Et pour un œil extérieur, il est correct, voire, de qualité.

source Kung Fu Panda Image

Pour mon "œil" intérieur, cependant, il était sans âme... Un Tai Ji Quan inhabité, telle une maison vide. Une maison qui tient debout, certes, mais une maison vide. Je finissais mon enchainement avec des tensions dans le corps et de l'insatisfaction dans le cœur.










Le déclic se fit lors d'un cours particulier avec mon Professeur. J'exécutais mon enchainement 108, comme à mon habitude, concentrée sur la qualité de la structure, en veillant particulièrement, ce jour là, à ce que le genou soit le plus possible en place. A la fin de mon enchainement, mon Professeur me fit la remarque : "Tu es trop dure dans ton genou." Trop "dure" ? Je ne comprenais pas la notion de dureté concernant un genou... Il me l'expliqua autrement : "Tu as trop de volonté dans ton genou."



"Oui... Mais pour qu'il soit en place, il faut bien que j'y mette une certaine volonté... " A ma réponse spontanée, il m'invita à recommencer le début de l'enchainement, en oubliant mon genou, et porter davantage attention à la descente de l'articulation de la hanche de la jambe d'appui. Y porter juste une attention, sans vouloir faire quoique ce soit.



Ne pas avoir peur de lâcher prise sur la structure et l'assurance qu'elle confère : Prendre le risque de renoncer à la solidité apparente d'un contrôle. Le résultat ne se fit pas attendre : Mon genou fut à sa place exacte sans aucune intervention volontaire de ma part. Tout ce que j'ai "fait", c'était justement de ne plus "faire". Et la sensation qui en découlait fit l'effet d'une véritable libération de pression : Je ne sentais plus aucune tension dans mon genou, comme à l'habitude, mais au contraire, j'ai senti un genou LIBRE D'ÊTRE A SA PLACE... Donc, un genou vivant, communiquant, reliant et EXISTANT. Un "genou heureux" en somme.


Ce jour là fut marquée d'une pierre blanche, car il s'est ouverte la porte que depuis longtemps, j'ai cherché à ouvrir.


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Cette aventure/ouverture a commencé par le genou, une articulation non seulement "charnière" dans la pratique martiale, mais qui porte aussi un symbolique particulier : " Le valet de deux Maîtres", selon Boris Dolto. Cette position délicate demande une écoute attentive, une adaptabilité immédiate et une souplesse tonique, avec un véritable lâcher prise de sa propre identité. Je le pris comme un enseignement tant au niveau du ressenti physique, de la pratique que de l’évolution personnelle.



Puis ce fut le Tui Shou. Comprenant sans doute que le moment était venu, lors d'un échange, mon Professeur me fit sentir la différence entre vouloir faire quelque chose en réponse à une action proposée, et le "non faire", face à cette même action proposée. Ici, le "non faire" ne consiste pas à ne rien faire... c'est à dire d'être non vivant, non réactif, non recevant, non donnant, inexistant, non communicatif.



Le "non faire" est l'art de mettre toutes les conditions en place pour répondre à une action proposée, puis, de "laisser faire" ce qui a été mis en place... Le résultat qui s'en suit n'est plus important. Ce qui est important, c'est ce qui aura été "fait" dans ce "laisser faire". Bien souvent, avant même que le résultat ne se manifeste, la "réponse" tui shou a déjà cessé dès l'instant où elle a été donnée : Ainsi, visiblement, rien n'a été "fait", mais tout a déjà été conclu. Et l'aventure continue...


mon amie de pratique et moi même

Elle continua un jour, alors que nous échangions nos ressentis et notre mouvement sur la marche Tai Ji avec mon amie de pratique, elle me fit à peu près la même remarque que mon Professeur : "Tu mets trop de volonté dans ta jambe arrière pour la faire avancer et faire ton pas." Puis, m'expliqua plus amplement : "Mets tout ton corps en place pour que l'avancée de la jambe arrière se fasse presque toute seule, sans tu aies besoin de le vouloir pour qu'elle avance... Un peu comme si c'était un résultat et non une action."

Je mis donc davantage de poids sur ma jambe d'appui, pivota davantage mon corps vers la main levée derrière et simplement en replaçant mon bassin, ma jambe semblait venir toute seule, tirée par un élastique. Là encore, j'expérimentais le "Faire, puis laisser faire"... Plus de contrôle, mais une fluidité découlant d'une liberté nouvelle.



La révélation se répandit à tout l'enchainement... et à ce jour, pendant l'entrainement, je sens que ma maison n'est plus vide... Quelques locataires semblent daigner venir y élire domicile.

Ainsi, dans mes cours de Tai Ji Quan, je mets toujours en place les conditions pour chaque élève, de manière la mieux adaptée possible, puis je laisse faire.



C'est toujours avec admiration et reconnaissance que je vois évoluer les élèves dans leur progrès constant, sourire aux lèvres. Je ne "veux" plus rien, juste planter la graine et découvrir avec émerveillement, la jeune pousse, puis la fleur.

MERCI d'avoir suivi avec moi cette aventure tout au long de ce récit... A bientôt pour d'autres découvertes "Tai Ji Quan" !



 
 
 

2 Comments


Jenn A
Jenn A
Jul 21, 2022

Merci pour cette graine transmise........

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a_dupont
May 11, 2022

Merci KY Van, pour le récit de l'expérience de "faire et laisser faire",

pour l'ouverture d'une réflexion et d'une attention à ma manière d'agir.

Anne


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